La Journée mondiale de l’eau du 22 mars a attiré l’attention du monde entier sur la menace que représentent les changements climatiques pour les réserves d’eau qui s’amenuisent.

Les preuves de l’impact du climat sur la disponibilité de l’eau abondent. Ces effets ont d’abord été ressentis de manière plus aiguë dans l’hémisphère sud de la planète. Le Cap (Afrique du Sud) a dû imposer des interdictions concernant l’utilisation de l’eau, la Syrie a connu des années de sécheresse qui ont contribué à l’agitation sociale, les éleveurs nomades kenyans ont vu leur bétail mourir de soif, et certaines régions d’Australie ont été frappées par la pire sécheresse en 800 ans.

Depuis quelques années, on a également pu constater les conséquences profondes des changements climatiques dans l’hémisphère nord. Le sud de la France vient de connaître son hiver le plus sec en 60 ans, ce qui engendre une « crise existentielle » pour les agriculteurs. L’année dernière, huit régions du Royaume-Uni ont connu une sécheresse qui a affecté les réserves d’eau souterraine. Aux Pays-Bas, les compagnies d’eau potable ont déclaré que des mesures devaient être prises pour éviter les pénuries d’eau d’ici 2030. Plus près de nous, les réserves d’eau du fleuve Colorado, qui alimente sept États, ont fait la une des journaux; la demande liée à l’agriculture et aux ensembles résidentiels a dépassé l’offre de deux tiers, ce qui a entraîné de sévères restrictions d’eau.

À mi-parcours de la Décennie internationale des Nations unies sur l’eau, les agences de l’ONU ont déclaré que partout au monde, il fallait accélérer les actions visant à protéger l’eau face à des défis majeurs, dont le plus important est le changement du climat.

Le Canada devrait-il s’inquiéter? On pourrait croire que non si l’on considère notre grande consommation d’eau et le faible coût de l’eau dans l’ensemble du pays. Les Canadiens sont de très gros consommateurs d’eau. Bien que la consommation résidentielle moyenne d’eau soit en baisse constante en raison de l’utilisation d’appareils plus efficaces à la maison, avec 215 litres par jour en 2019, notre consommation demeure près de deux fois plus élevée qu’au Royaume-Uni et en Allemagne. Le Canada consomme également d’énormes quantités d’eau dans les secteurs de l’extraction, de la fabrication et de l’agriculture. Selon Statistique Canada, l’ensemble des prélèvements d’eau à des fins industrielles, commerciales et institutionnelles s’est élevé à 1 350 millions de mètres cubes en 2019.

Néanmoins, le Canada ne peut pas rester inactif, en particulier dans les Prairies. La région, qui produit 80 % des denrées agricoles, connaît des périodes récurrentes de pénurie d’eau. Au moins cinq grandes sécheresses se sont produites dans les Prairies canadiennes au cours des 120 dernières années. Depuis 2006, le gouvernement de l’Alberta n’a pas délivré de nouveaux permis d’utilisation de l’eau pour le bassin de la rivière Saskatchewan Sud en raison des ressources en eau limitées. Tout récemment, en 2021, les conditions de sécheresse dans les Prairies ont réduit les rendements de canola jusqu’à 50 % dans certaines régions. Une mauvaise sécheresse qui s’étendrait sur plusieurs années, comme c’est le cas dans le sud des États-Unis ou dans certaines parties de l’Europe, aurait des conséquences dévastatrices. Il suffit de penser à l’époque du dustbowl des années 1930, une sécheresse qui a duré plus de 40 mois. Les conditions de sécheresse n’auraient pas seulement un impact sur le secteur agricole, elles auraient également des conséquences néfastes pour tout le monde, y compris les communautés autochtones, les municipalités et d’autres secteurs à forte consommation d’eau.

Les effets des changements climatiques auront également des répercussions à l’échelle mondiale. Les Nations unies prévoient une augmentation de 70 % de la demande alimentaire d’ici 2050 par rapport aux niveaux actuels. D’ici là, les changements climatiques et leurs conséquences sur la disponibilité de l’eau redéfiniront les lieux, les produits et les quantités d’aliments pouvant être cultivés dans le monde. Autrement dit, dans le futur, la sécurité alimentaire de la planète pourrait dépendre encore plus des produits canadiens.

C’est pourquoi l’Institut canadien des politiques agroalimentaires (ICPA) réclame une approche nationale en matière d’eau. « Nous devons augmenter les investissements et la croissance dans le système agricole et alimentaire du Canada, mais cela n’est possible que si nous sommes prêts à affronter les changements climatiques et si nous pouvons nous adapter à leurs effets hydroclimatiques », a déclaré Tyler McCann, directeur général de l’ICPA. Comme point de départ pour promouvoir le dialogue dans le secteur, l’ICPA publie une série de documents et de webinaires financés en partie par RBC Fondation par l’intermédiaire de Techno nature RBC. Ces documents et webinaires mettent en lumière la manière dont l’eau est utilisée par le secteur agricole et les raisons pour lesquelles les producteurs agricoles de tout le pays doivent se soucier des changements climatiques.

La réduction de la consommation d’eau n’est pas seulement bénéfique pour les régions où l’eau est rare. Alors que nous cherchons à réduire notre empreinte énergétique et carbone, nous devons tenir compte du fait que moins d’énergie est consommée lorsque moins d’eau est pompée et traitée. C’est pourquoi les municipalités et les industries étudient les possibilités et les technologies de réutilisation de l’eau et de traitement de l’eau à des fins déterminées.

Foresight, un accélérateur canadien de technologies propres, applique une perspective climatique à la promotion des technologies de l’eau par l’intermédiaire de son réseau de technologies de l’eau, waterNEXT. Le réseau soutient des entreprises telles que Rainstick, une entreprise de Kelowna qui fabrique un système de douche et qui réduit la consommation d’eau et d’énergie de 80 %. WaterNEXT soutient également Livestock Water Recycling, qui collabore avec les producteurs laitiers pour traiter le fumier et créer des engrais commercialisables, du biogaz et de l’eau réutilisée.

« Lorsqu’il s’agit de faire face à la pénurie d’eau et de réduire notre empreinte carbone liée à l’eau, le Canada dispose de toutes les technologies nécessaires », déclare Alan Shapiro, directeur du programme WaterNext de Foresight. « Mais nous nous heurtons à deux obstacles majeurs. Premièrement, le faible coût de l’eau et deuxièmement, l’absence de réglementation habilitante. Un grand nombre d’excellentes entreprises technologiques canadiennes ne sont pas actives au Canada parce que ces facteurs ne sont pas en place pour créer un marché. À l’inverse, en Australie, il existe un marché pour les améliorations tant à l’échelle domestique qu’à l’échelle de la collectivité. »

Qu’il s’agisse de faire face à la pénurie d’eau ou de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le Canada doit intensifier ses efforts pour se préparer aux impacts hydroclimatiques. Il est urgent d’entamer un dialogue national afin de mieux comprendre les effets du climat sur l’eau et de commencer à planifier une approche nationale pour renforcer ensemble notre résilience. Nous pouvons nous inspirer de l’Allemagne, qui a adopté une stratégie nationale de l’eau en mars de cette année. Cette stratégie comporte 78 actions visant à « accélérer le rythme de la transformation du secteur de l’eau » dans le contexte des changements climatiques; il s’agit notamment de prendre des précautions pour prévenir la pénurie d’eau et éviter les conflits liés à l’utilisation de l’eau.

Au Canada, le gouvernement fédéral met en place une Agence canadienne de l’eau en 2023. Bien que l’autorité de gestion et d’allocation de l’eau soit du ressort des provinces, la nouvelle Agence canadienne de l’eau pourrait jouer un rôle important en réunissant les détenteurs de droits sur l’eau et les grands utilisateurs d’eau pour commencer à les sensibiliser et encourager le dialogue sur l’adaptation et le renforcement de la résilience en réponse aux impacts hydroclimatiques dans l’ensemble du pays.

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