Entretien avec Peter Weltman, vice-président du Conseil canadien des infrastructures

Décembre 11, 2025

Bulletin trimestriel du Réseau canadien de l’eau (RCE) contenant les dernières nouvelles, des perspectives, et des réflexions de leaders d’opinion.

Nicola Crawhall, directrice générale du Réseau canadien de l’eau (RCE), s’est entretenue longuement avec Peter Weltman. Ce dernier est vice-président du Conseil canadien des infrastructures et directeur du développement commercial chez Technomics Consulting. Peter a récemment occupé le poste de directeur de la responsabilité financière de l’Ontario et a été membre du Conseil de transition de la région de Peel.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans les données nationales sur les infrastructures ?

Tout au long de ma carrière, j’ai consacré beaucoup de temps à promouvoir la transparence dans la prise de décision gouvernementale. Les infrastructures publiques sont essentielles à la croissance du pays. Les gouvernements doivent trouver un moyen de mieux planifier, financer et réaliser les infrastructures publiques.

Cela a commencé dès 2009, lorsque je travaillais au Bureau parlementaire du budget fédéral. J’ai expliqué aux élus fédéraux comment fonctionneraient les fonds de relance destinés aux infrastructures. Puis, en tant que responsable de la responsabilité financière de l’Ontario, j’ai expliqué les implications financières des effets du changement climatique sur les infrastructures publiques. Les gens doivent comprendre que l’usure des infrastructures va s’aggraver considérablement, car les routes, les bâtiments et les canalisations qui ont été conçus pour le climat d’il y a 50 ans ne peuvent pas résister au climat d’aujourd’hui ni à celui d’ici 50 ans. Nous avons estimé le coût de l’adaptation des infrastructures de l’Ontario.

Chez Technomics, nous produisons des analyses de données et des informations sur les contrats de défense et d’infrastructure. Lorsque les décideurs achètent des infrastructures complexes, par exemple un navire de guerre, nous utilisons les données pour fournir des informations sur les retards potentiels et les dépassements de coûts du projet. Par exemple, un navire de guerre comporte de nombreux composants qui doivent être « branchés ». Cela nécessite une main-d’œuvre qualifiée. Ces points de « branchement » peuvent entraîner des retards. Grâce à des analyses de données et à des informations pertinentes issues de projets similaires, le gouvernement peut anticiper les retards et les atténuer en préparant la main-d’œuvre avec les compétences appropriées pour être prête à mener à bien ces projets complexes. Il en va de même pour les projets de tramway, les ports, les autoroutes et les projets liés à l’eau et aux eaux usées. Nous sommes tous en concurrence pour la même main-d’œuvre qualifiée. Nous devons adapter la formation dès maintenant afin de nous assurer que nous disposons de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire pour mener à bien ces projets à l’avenir. La première étape consiste à consacrer du temps et des ressources à l’analyse des données.

Pourquoi le Canada avait-il besoin d’une évaluation nationale des infrastructures ?

Dans sa forme la plus pure, l’Évaluation nationale des infrastructures (ENI) offre une vision à long terme et de grande catégorie des infrastructures dont dispose actuellement le Canada – services d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, déchets solides, transports en commun et transports actifs, dans le cas de la première ENI. Elle tente également de répondre à des questions clés. Dans quel état se trouvent actuellement ces infrastructures ? Combien coûtera leur entretien pour les maintenir en bon état ? Dans 20 ans, où vivront les gens ? À quoi ressemblera l’économie ? Quelles infrastructures seront nécessaires pour soutenir l’activité économique et les collectivités partout au Canada ? C’est une tâche difficile. En fin de compte, ces informations aideront les gouvernements à établir les priorités en matière d’investissement.

Je fais partie des 11 experts nommés l’année dernière par le ministre du Logement et des Infrastructures au Conseil canadien des infrastructures pour un mandat de trois ans afin de superviser l’élaboration de la NIA. Nous sommes un organisme consultatif indépendant qui rend compte directement au ministre. Notre travail consiste à examiner les données et les analyses dont dispose déjà le gouvernement fédéral, et à contacter des groupes pour obtenir plus d’informations et de commentaires. Nous avons reçu plus de 300 soumissions lorsque le concept d’une NIA pour le Canada a été présenté pour la première fois en 2021 et avons contacté plus de 150 groupes au début de cette année pour connaître leurs principaux enjeux et défis.

Au cours de l’année écoulée, nous avons publié une série de documents spécifiques à certains secteurs, dont un sur le secteur de l’eau et des eaux usées. Vous trouverez plus d’informations ici. Le premier rapport complet, axé sur les infrastructures favorisant le logement, a été publié le 27 novembre 2025.

Quels ont été vos principaux enseignements lors de l’élaboration de la première ANI ?

La première est qu’il existe un déséquilibre budgétaire en matière d’entretien et de fourniture d’infrastructures publiques au Canada. Les propriétaires de la plupart de ces infrastructures, à savoir les municipalités, n’ont pas la capacité financière d’entretenir les infrastructures existantes et de financer de nouvelles infrastructures. Leurs deux sources de revenus, les impôts fonciers et les redevances d’utilisation, sont largement inélastiques, ce qui signifie qu’elles ne varient pas beaucoup en fonction de la situation économique. En période de croissance, elles ne disposent pas de fonds supplémentaires pour réagir. Elles dépendent donc fortement des subventions des gouvernements supérieurs. Nous pouvons voir comment cela s’est manifesté sur le terrain. Les banlieues, où se concentre la majeure partie de la croissance du Canada, n’avaient pas les revenus nécessaires pour répondre à cette croissance. Elles sont devenues dépendantes des redevances d’aménagement pour financer leur croissance. Ces redevances imposées aux promoteurs immobiliers ont été répercutées sur les nouveaux propriétaires, augmentant ainsi le coût du logement. Pour la première fois, les nouveaux propriétaires payaient la totalité du coût des infrastructures desservant leurs maisons, un coût que les générations précédentes n’avaient pas à supporter.

Un deuxième problème est que les trois niveaux de gouvernement ne coordonnent pas efficacement le financement des infrastructures. Lorsque les municipalités demandent des subventions aux gouvernements supérieurs, il peut y avoir des critères tels que la « maturité » des projets ou une préférence pour les projets de surface plutôt que pour les infrastructures souterraines, afin qu’ils soient plus visibles pour le public lors des « inaugurations ». Souvent, il y a peu ou pas de financement disponible pour le financement le plus invisible mais pourtant essentiel : l’investissement dans l’entretien des infrastructures existantes. Nous avons besoin d’une meilleure coordination entre les trois niveaux de gouvernement en matière de financement et de mise en œuvre des infrastructures.

Troisièmement, l’INV a constaté que les données permettant de documenter les infrastructures dont dispose le Canada – urbaines, semi-urbaines, rurales, nordiques et éloignées – et la valeur de ces infrastructures sont sporadiques. Malheureusement, la médiocrité des données ne dispense pas les décideurs de prendre les décisions qu’ils doivent prendre en matière de planification et de mise en place des infrastructures. Nous avons besoin de meilleures données, qui permettront de réduire la fourchette des estimations probabilistes et de prendre une décision aussi proche que possible de la réalité.

Statistique Canada a commencé à recueillir des données démographiques et infrastructurelles nationales il y a environ 10 ans au niveau des régions métropolitaines de recensement. L’organisme recueille désormais des données plus granulaires qui peuvent aider les municipalités à mieux comprendre les tendances en matière de déplacements de la population au sein des régions métropolitaines de recensement. Cela permettra aux municipalités de réagir avant que les problèmes ne surviennent.

Tout dépend de la confiance des décideurs dans les données et de leur tolérance au risque. Si, en tant que décideur, vous avez confiance dans le projet que vous vous apprêtez à financer et que l’organisation a une grande expérience dans la réalisation de ce type de projets, vous pouvez fixer le budget à l’intervalle de confiancede 50%. Cela signifie qu’il y a 50 % de chances que le coût réel dépasse les fonds disponibles, mais c’est un risque que vous êtes prêt à prendre. Si votre tolérance au risque est plus faible ou si le projet est plus risqué que ceux que vous avez entrepris auparavant, vous pouvez établir votre budget à l’intervalle de confiance de80 %, ce qui signifie qu’il n’y a que 20 % de chances que le coût réel soit supérieur au budget prévu. Il est évident que le budget à l’intervalle de confiancede 50 %est beaucoup plus faible qu’à l’intervalle de confiancede 80%.

L’une des principales recommandations de la NIA est que le meilleur investissement que nous puissions faire consiste à confier aux gestionnaires des infrastructures existantes la gestion de la demande sur celles-ci, à les maintenir en bon état, à éviter les perturbations de service dues à des défaillances des infrastructures et à nous adapter et nous préparer à l’aggravation des effets du changement climatique.

Je suis personnellement d’avis que les gouvernements fédéral et provinciaux devraient donc inciter les municipalités à investir dans les infrastructures existantes, par exemple en exigeant qu’une partie des fonds reçus soit consacrée à la gestion des actifs.

Il reste à convaincre les décideurs locaux que les investissements dans les infrastructures existantes sont essentiels. Comment présenter et communiquer les opérations et la maintenance (O&M) de manière à les rendre plus attrayantes ? Cette NIA est une première étape pour sensibiliser les décideurs à l’ampleur des investissements nécessaires.

Il y a ensuite le public qui considère largement les infrastructures comme acquises. Lorsqu’il voit la facture pour réparer ou remplacer les infrastructures, il n’apprécie pas. Nous devons faire comprendre que les infrastructures ne sont pas quelque chose de caché, mais un service essentiel dont dépendent notre santé et notre prospérité économique.